Hilda Van Eyck
Biographie
…
Poésies
Nous voilà
huit milliards
de bipèdes
petits poulets pelés
qui s’agitent
sur la terre
Tout l’été
la fournaise
l’herbe brune
la Mer du Nord
chaude
comme les Mers du Sud
nuages sans pluie
nuits étouffantes
comme l’ Amazonie
les Pakistanais
nagent autour
de leurs minarets
alors que le Rhin est à sec…
Il commence à faire froid
à Kharkiv
les chambres de torture
se taisent
les tombes
pourrissent
que peuvent
les poètes
que peuvent
les poètes ?
Hilda Van Eyck
les orages fougueux
balaient le pays
après la chaleur de plomb
enfin de l’eau céleste
pour les plantes assoiffées
l’air vibre des senteurs
des pâquerettes
dont le jardin embaume
Entre deux orages
les merles résistent
et sifflent sans cesse
l’enchantement magique
Des jeunes du monde entier
font de même
leur violoncelle sonore
triomphe de la mort
Hélas, en mer d’ Azov
on ne se baignera plus…
Le temps est une gargouille
elle crache notre vie
Folie sur Shanghai
les immeubles crient
Dans le mien, une femme se jette
par la fenêtre et s’écrase
Les insectes paniquent
le pigeon –stuka plonge et les happe.
Les glaces de l’Antarctique
fondent comme beurre au soleil
Des bombes font sauter
allègrement des mosquées afghanes
D’autres percent les parois des caves
des affamés ukrainiens
Mais un bateau sans pilote
a traversé l’ Atlantique
Enfin, les feuilles tendres
des érables sont sorties
Voilà la vraie vie
Voilà les vrais poètes !
Hilda Van Eyck
(L. Cohen)
C’est le printemps,
l’ours s’est réveillé
Ivan le terrible
est sorti de sa tombe
mais il s’appelle
Vladimir
« Celui qui règne avec la paix »
plutôt un nouveau Raspoutin…
Partout Didon et Enée
perdus dans la masse
de fuyards
et les enfants qui finiront mal plus tard
Partout des concerts
des festivals
sans masques
ni mensonges
Mais où est la traque
du Minotaure ?
Thésée serait-il peureux ?
la race des héros a disparu.
Le temps passe
la justice reste
dit-on
on verra
Hilda van Eyck
la tempête
the tempest
de storm
les Hauts d’Hurlevent
les plaintes et les cris sous les portes
craintes archaïques de l’enfance
cors de chasse
des fantômes de toutes les guerres
les nuages galopent
Mesmies Hellequin
chasse d’Odin
folie furieuse
Le vent terrifiant balaie la terre
pigeon vole
arbre vole
toit s’envole
missile vole
une nouvelle guerre guette
les flots s’élèvent
les cargos se cognent
les exilés se noient
dans l’eau froide
C’était Eunice
Eu-Nikè
La bonne victoire
Ce n’était pas le doux Zéphyr
Hilda Van Eyck
février 2022
Silence
le grand absent
Le profond
Silence
de la nuit
Source
du son
du mot
du poème
Au-delà
de la lointaine
stratosphère
le silence
absolu
règne
Peut-être
un peu de
musique des sphères…
Il était une fois
Un jeune loup
Venant de Hollande
Errant
Dans le port d’Anvers
Ne trouvant rien
À se mettre sous la dent,
S’gare dans un monde
Sans arbres
Ni verdure
La soif le tenaillant,
Il s’approche
D’un fleuve
Sans méandres
Étrange et rigide,
Va laper
Cette eau sans goût,
Glisse
Sur la berge bétonnée,
Plonge dans le canal glacé,
Boit la tasse
Panique
S’efforce de sortir de ce piège
Et se noie.
Il aurait peut-être
Préféré
La balle
Du chasseur.
On n’arrête pas le progrès :
après la grosse Bertha et le Schwere Gustav,
c’est l’âge atomique
des drones et des robots –guerriers
des fourmis rouges des ordinateurs
(quand le marabounta gronde)
c’est l’âge du papier envahissant
de la vitesse supersonique
et des fusées massive de destruction
Non, non
maintenant on revient
aux sbires et aux spadassins
du Moyen-Age et de l’Antiquité
Maintenant , il y a quelques jours ,
on tue au couteau
et à l’arc à et flèches
c’est la fin des haricots
C’est le Néolithique !
Et vive la régression !
La ville est vide
Les fenêtres borgnes.
Quelques ombres furtives
Frôlant les murs aveugles.
On avance masqué dans la ville fantôme
Printemps perdu
Tous emmurés
La méfiance règne
Guerre sournoise
D’un ennemi invisible
Ce n’est pas la peste noire, mais…
Il pleut des vieux dans les tombes
Il pleut des vieux dans les tombes
Le cri inaudible des artistes enfermés
Le monde entier crève, les poumons rongés
Une longue année, sombre tunnel
D’un étrange soldat se cachant dans les brumes et les bruyères
D’étranges tonnerres roulement de tambour
Des éclairs brutaux
Le déluge et le feu
Les maisons châteaux de cartes
Les gens nagent dans les rues
Le Groenland fond
Les typhons s’activent
Le vicieux virus nous guette encore
Ailleurs
Des barbouzes
Jubilent
Célébrant le crépuscule des femmes afghanes
Ici, le jardin a reverdi
Les pétanques roulent et se cognent
On entend le rire gras des rescapés
Parfois on se touche, good vibrations
La ville n’est plus vide
Qu’aurait prédit la Sibylle de Cumes ?
Nul ne le sait
Mais, nous survivâmes…
Nous survécûmes.
Hilda Van Eyck 2020-2021
Le requin-scie
Le requin-marteau
Les anciens élèves
Des Arts et Métiers Maritimes
Du temps de Chilpéric Premier
Il n’y avait pas de trams
On voyageait en chars à bœufs
Quelle lenteur !
Les serveurs des cafés
Galopent
Comment font- ils ?
Pour ne pas laisser tomber les verres ?
Dimanche passé
Les arbres hurlaient
Agitaient leurs branches- drapeaux
Maintenant ils frémissent
Demain la prochaine tempête
Parlez-vous Mandarin ou Cantonais ?
Le virus couronné
S’en moque bien
Le frère du Bacille de Yersin…
Hilda Van Eyck
Février 2020
Les arbres glabres
attendent
Les oiseaux chantent
Est-on en avril ?
Pas de neige
ni de glace
Tout est trop tôt
Il fait trop chaud
Gare aux grippes
Bientôt des palmiers à la côte ?
Cette petite bête
paisible
au nez bizarre
grimpe à l’arbre
et grignote
les feuilles grasses
Il fait trop chaud
les broussailles brûlent
Il est trop lent
pour se sauver
la peau de koala
s’enflamme
Le feu le feu
La fumée noire
Sydney étouffe
Le Temps du Rêve
est fini
Le Temps du Rêve
est fini
Hilda Van Eyck
Décembre 2019
Venise, Venise !
Sous eau
Elle coule
Les nymphes des Vénètes
Resurgiront
dans la crypte inondée
De la cathédrale engloutie…
La splendide Ville d’Ys !
Le ciel
Bleu pâle,
De longues dentelles blanches
Des cheveux d’ange
Les arbres
À moitiés nus
Une touffe de Cheveux
Sur le crâne
L’été, un souvenir
L’hiver aux aguets
Les oiseaux emmitouflés
Tout est roux
Mon cœur bat
Je vis
Encore
Je suis
dans cette ville
laide
industrielle
aux usines rouges
abandonnées
à la nature éventrée
Belfast la dure
Les mouettes crient
« piou-piou »
le petit port se devine
Des familles se prélassent
dans les parcs
Je déguste un navarin d’agneau
au Café Parisien
En face, la pompeuse bâtisse
de l’Hôtel de Ville
À la terrasse , une armée de chômeurs
un verre dans le nez
Sous cette façade tranquille
couve la haine des politiques de l’île voisine…
Les mouettes « piou-piou »
s’en moquent
éperdument
Il pleut il pleut bergère
Rentre tes noirs moutons
Après le joli mois de mai
Voici venir l’orage
Voilà l’éclair qui luit
C’est le joli mois de juin.
Quel climat.
Enfin, c’est bon
pour la nappe phréatique.
Une brume improbable
imprègne
la cathédrale verte
de mon jardin.
Les arbres tremblottent
de froid,
l’écorce mouillée jusqu’à l’os.
L’herbe pousse
les buissons sont
ses moustaches vertes.
Les maisons inertes
lentement rongées
par l’humide saison
résistent encore.
On a enfin vu
la photo lumineuse
d’un trou noir.
Où passent les étoiles
englouties ?
Les grands de ce monde
s’agitent
comme des maracas
en des mains invisibles.
Mon arbre
aux feuilles fidèles
résiste de toute
sa verdeur.
À Pâques
le volcan irlandais
se réveille
et c’en est fini
de la Féerie Cingalaise
La vie est
un trou noir
qui nous happera tous.
La parole résiste.
Avril 2019
L’érable chandelier
dans la douceur du soleil
des oiseaux chantent
en février…
Enfin la lumière
le semblant d’hiver
déjà oublié
l’infime couche de neige
évanouie dans mes rêves
Les très jeunes
tambourinent les rues
les politiques discutent
et se chamaillent
ne serait- il pas déjà un peu tard ?
L’eau monte
la Hollande a peur
l’Australie brûle
la nature est inexorable
Kyrie eleison
Il y a très longtemps
les requins embusqués
remuaient algues et coquillages
le sable s’établit pour toujours
Après des glaciations
la Senne traverse d’immondes marécages
En des temps incertains
une vaste salle en bois surgit
de ce remugle glauque
Une ville est bâtie
avec églises, tours, flèches
et édifices gothiques
en dentelle de pierres
Guerres et pestes, guerres et pestes
Tout est démoli ; tout est reconstruit
Inondations de la Senne – cloaque
fièvres, épidémies, moult tribulations
Ducs perdant leur palais en flamme
Comtes perdant leur tête en place publique
Toujours le peuple reste goguenard
Saint Michel transperce le dragon
Un petit bonhomme tout nu
pisse dans une fontaine
Nul ne le domptera
La plus belle place du monde
aux proportions inimitables,
tel un parfait lotus,
émerge de la vase du Marais
Pas un souffle
Pas un bruit
Le silence des arbres
Quelques vagues nuages passent
L’hiver est là
L’érable aux branches pelées
Implore le ciel immobile :
Que le soleil revienne !
Les mouettes se poursuivent
L’herbe est toujours verte
Le gel s’installe la nuit
Le silence est opaque
Épais
Total
Tout est parfait
Les feuilles
disparues
Les arbres
orphelins
Les nuées grises
La nature
boude
Le froid
s’installe
Un peu de pluie
Du vent
piquant
Le soleil est loin
L’obscurité
s’avance
La solitude
totale
Il faut
Tenir
L’érable
Boule d’or
Soleil figé
Caviar orange flamboyant
Feuilles à peine frémissantes
L’érable
Toujours doré
Un peu plus décrépi
Belle tristesse
Feuilles brunes tombées sur l’herbe verte
Moi, l’érable
Déplumée, vieille et fragile
Je suis encore debout
Mes feuilles-poèmes
S’envolent rougeoyantes.
Mal de mer sur le plancher des vaches !
Ma chambre tangue
Rester couchée
Être assise
Se mettre debout
Rien n’est sûr
Le médecin tâtonne
La nausée monte
Le taxi se fait attendre
La foule à l’urgence
J’attends cinq heures
Si, si, cela s’appelle Urgence
Je m’enfonce dans l’oubli
À minuit, j’enfonce mon doigt sur mon nez
On secoue mon corps
Des débris de petits cristaux
Perturbent mon oreille interne
Nul ne sait d’où ils viennent
Il me faudra des massages vestibulaires
Je suis victime de débris
De neutrinos de bosons de Higgs
Ô Einstein
Je nage
Je fais naufrage
Dans le monde de la physique quantique !
C’est très désagréable…
Elle va partir en d’autres mains
la vieille maison de ma grand-mère.
Un siècle d’histoires, de rires
et de cris, de galopades et de musique.
Une solide bâtisse
que ni guerres, ni tremblements de terre
n’ont su ébranler.
Cette grande maison majestueuse
haute et svelte
hantée de souvenirs
de générations devenues fantômes.
Elle est vidée de ses meubles
et de sa substance.
Un grand silence y règne désormais
écrasé par la canicule.
Elle va partir en d’autres mains
la belle maison de ma grand-mère.
La nuit
je suis la reine des cauchemars
je foudroie
les arbres pliés par les vents
je vogue dans une barque de verre
vers de lointaines plaines de verdure
je maîtrise la magie
des chevaux écarlates
je règne dans le palais de cristal
nul ne m’entend
nul ne me voit
sur mon haut balcon blanc
La nuit
les nuages laiteux se poussent
dans le ciel noir
au-dessus des ruisseaux argentés
je survole les grandes vagues grises
et m’engouffre dans les cavernes calcaires
La nuit
je suis la reine des rubis
je porte la pourpre
des crépuscules
je suis libre comme la plume
qui tournoie
sans départ ni fin
sans début ni fin
Hier,
avec un ami,
nous voyageons
au XIème siècle
au son des grandes envolées
des voix célestes
des cithares et des harpes
de Hildegard von Bingen
Sur le balcon
au soleil
les merles rivalisent avec elles
Par petites gorgées
nous dégustons
ce nectar de la Trappe
et louons ces mystiques
guérissant les pauvres de nous
qui vivent trop dans le temps
le temps compté
le temps cliquetant
de toutes nos horloges
Les trompettes et les cloches sonnent
La terre se refroidit
La neige au printemps
La froidure sibérienne
La crainte sournoise
De la guerre froide
La précarité nous lorgne
Je suis dans le cul-de-sac
De la vieillesse
Le monde s’agite
Toujours les menaces
Et les massacres
Il faut chauffer
Nos cœurs
Heureusement la musique de Bach
Dans ce monde de brute
Les orgues et les trompettes sonnent.
Quelques mots maintenant sur cette page blanche
remplir la solitude foncière
de tous les êtres sans défense
Je suis cette mouette solitaire
jetant son cri dans le vide
Je suis le chien enchaîné à sa niche
pleurnichant sans caresse
Je suis le son de la cithare
se perdant dans le vent
Je suis l’orpheline virtuelle
la robe délaissée
un arbre en hiver
la grande rêvasseuse
entourée de silence
Mon âme est un monastère
aux songes mystérieux
aux ancêtres orfèvre et forgeron
poète et paysan, dentellière et berger
Il faut être seule afin que la création surgisse !
J’émerge du ventre de la nuit
Quel rêve doux-amer
Il fait encore noir
Je suis seule
L’immeuble dort
Les arbres frémissent peut-être
Le matin gris foncé
La neige s’agite
Les milliards de flocons
Le jardin blanc illumine la pièce
Je devine la terreur
des oiseaux
des automobilistes
des vieillards
forcés à la lenteur
dans ce givre verglacé
Je reste donc bien au chaud
Sous ma couette douillette
Règne le roux de l’automne
les feuilles s’agitent dans le vent
et font leurs derniers adieux
La nuit la mort me rend raide
et nue assise sur une chaise
où lentement je m’affaisse
Des inconnus me posent sur un lit
et me préparent
je ne sens rien
peu à peu le brouillard m’environne
on me place dans un cercueil
puis le couvercle me racle
Je me réveille !
Ah ! Je respire, je saute du lit.
Je vis, je vis !
Je descends
béquille fragile
mes pieds glissent
dans la pénombre
Une lampe éclaire
la bave calcaire :
une stalagmite
étrange statuette
Des coquillages au plafond
il y a 3.600.000 ans
la mer tropicale
clapotait ici même
Toujours plus bas
le ru perforant la haute montagne
glougloute encore
et me dédaigne superbement
C’est le gouffre du temps
La grotte de Hotton.
Dolmens et menhirs
chênes centenaires
ombres sacrées
lieux de mystères
morts oubliés
silence absolu
Paysans peureux
suppliant les scruteurs d’étoiles
quand sommes-nous dans l’année ?
faut-il semer ou récolter ?
aurons-nous une moisson ?
sera-ce la famine ?
Les géomètres-astronomes tâtonnent
avec de lourdes pierres
le sentier du soleil
solstice néolithique
équinoxe de l’âge de pierre
almanach séculaire
Mégalithes de Wéris
Je suis à Belfast
Pompeuse ville morte
Aux maisons baroques,
Pas grand monde,
La ville est vide.
Ces laids bâtiments industriels,
Pas la moindre magie,
Sauf le rose des cerisiers du Japon
Dans quelques rues désertes.
À la côte nord,
La mer est grise
La mer est bleue la mer est noire
Les îles dans le brouillard
Le temps est capricieux
Le soleil la pluie,
Mais peu importe,
Deux cents personnes écoutent
De la musique
Et de la poésie !
Trois corneilles dans un arbre
Der Tod und das Mänschen
Schubert à la radio
Les arbres dans l’attente
De longs jours gris
froids et neigeux
L’enterrement d’un musicien
Ma mère fatiguée
Le pharmacien lent et lassé
ne trouvant pas mon médicament
Pourtant pauvres de nous, les glaces
fondent et se dissolvent
même la fosse des Mariannes est polluée
Je suis une île
une butte dans la plaine
un nuage aux étranges boursoufflures
un grand vide
Une grande rêvasseuse
Et c’est bien ainsi